Raphael Cendo: FORIS (2012)

pour violoncelle et électronique et spatialisation sur six canaux

Commande pour Arne Deforce du Grame Lyon, de la Fondation Royaumont / Voix nouvelles et du Centre Henri Pousseur, Foris a été créé le 15 mars 2012, France, Lyon, festival Musique en Scène.

Foris est une des racines latines du mot forêt désignant plus particulièrement un « en-dehors », un lieu extérieur à la civilisation, un lieu sauvage et inconnu. La pièce développe dans un premier temps une multitude de modes de jeux enchaînés rapidement et transformés en temps réel par l’électronique accentuant ainsi la perte de repère auditive entre le son produit et sa transformation. Après une période centrale statique ou l’espace se concentre sur un son pur produit par l’archet sur le cordier de l’instrument, Foris focalise sur certains des modes de jeux entendu dans la première partie, en les développant et en les variant à outrance. Si c’est bien d’une forêt qu’il s’agit, c’est celle de l’imaginaire où tout nous semble étranger : Bruissement, bruit sourd, déflagration, craquements, passages d’étranges entités. C’est aussi dans la partition même une densité d’événements qui est proposée à l’instrumentiste, une forêt de symboles. L’écriture gestuelle, poussée dans ses retranchements, force l’instrumentiste à devenir acteur, maître et géographe de ce monde imaginaire.  La spatialisation sur six canaux vient décupler l’écoute de cette espace si particulier.

Je tiens particulièrement à remercier Arne Deforce pour son engagement et le travail de recherche que nous avons accompli ensemble ainsi que Max Brucker pour le travail qu’il a réalisé sur la partie temps réel. La pièce est dédiée à Arne Deforce.

Raphael Cendo

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Influencée par la musique spectrale, les musiques actuelles et populaires, des compositeurs comme Brian Ferneyhough ou Fausto Romitelli, Raphaël Cendo (comme Franck Bedrossian) met en avant le concept de saturation ou de musique saturée. Concept de l'excès, l'important est de dépasser le son pur, le contrôle absolu de la note, de l'interprétation par des sons nouveaux complexes : « Le phénomène saturé dans le domaine de l’acoustique, c’est un excès de matière, d’énergie, de mouvements et de timbre. ». Sa musique pousse ainsi aux limites les notions de timbre, espace fréquentiel, intensité et gestes instrumentaux.

« La saturation électrique est le résultat d’un débordement sonore au-delà d’une limite – celle des micros qui ne sont plus à même de restituer une source sonore. La saturation surgit parce que les systèmes de contrôle du son transforment, par accident, cette source en ajoutant des mouvements imprévisibles et incontrôlables. Transposé dans le monde de l’acoustique, la saturation prend un autre sens : la partie immergée de la saturation instrumentale, ce que nous avons appelé la perte de contrôle, agit autant sur l’écriture et le processus de composition d’une pièce que sur l’interprétation. Ce nouveau type de contrôle a contrario se manifeste par l’utilisation des sons complexes, par des actions gestuelles extrêmes à la limite du possible, mais aussi par des changements rapides de mode de jeu, ainsi que par une nouvelle notation et par des interactions de textures. »
 

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Dessiner l’écoulement du temps (contexte à lire)

(…) Je devais apprendre moi-même l'horrible, trépidante expérience que c'est de changer de tempo, de le perdre subitement, d'en trouver un autre à la place, inconnu, terriblement vite, dont on ne sait que faire, rendant tout différent. méconnaissable, insensé, décoché, faisant tout filer, qu'on ne peut suivre, qu'il faut suivre, où pensées, sentiments, tiennent à présent du projectile, où les images intérieures, aussi accentuées qu'accélérées, sont violentes, vrillantes, térébrantes, insupportables, objets d'une vision intérieure dont on ne peut plus se détacher, lumineuses comme la flamme du magnésium, agitées d'un mouvement de va-et-vient comme le chariot d'une machine-outil, infimes qui vibrent, tremblent et zigzaguent, prises dans un incessant mouvement brownien, images où les lignes droites saisies d'un emportement ascensionnel, sont naturellement verticales, lignes de cathédrale, qui n'ont pas de fin en hauteur mais continuent indéfiniment à monter, où les lignes brisées sont un séisme continuel de brisures, de morcellement, d'émiettement, de déchiquetage, où les lignes courbes sont des folies de boucles, d'enroulement, de volutes, de dentelles infiniment compliquées, où les objets semblent sertis de minuscules, éblouissantes rigoles de fonte bouillante, où les lignes parallèles et les objets parallèles indéfiniment répétés et d'autant plus qu'on y pense, brisent la tête de celui qui vainement veut se retrouver dans la pullulation générale.

Images où dans un ruissellement, un étincellement, un fourmillement extrême, tout reste ambigu et, quoique criant, se dérobe à une définitive détermination, où quoique dans une fête localisée, celle de l'optique, on sait que l'on subit des trilles enragés, des sifflets perçants, des cacophonies grotesques, des gammes délirantes et comme enragées. Arraché à son tempo, dans l'orage des infimes vagues forcenées. ou dans l'enfer d'impulsions pareillement soudaines, saccadées et démentes,  on ne peut imaginer que cessera jamais l'inhumaine vitesse...

Henri MICHAUX
"Vitesse & Tempo", Quadrum III, Bruxelles, 1957